Le Genévrier thurifère (Juniperus thurifera) au Maroc
 

Le rôle social du Genévrier thurifère
Tant qu'il y aura des arbres, il y aura des Hommes...
 

Lorsque l'on parcours les hautes vallées de l'Atlas, deux éléments paysagers se détachent des pentes abruptes: les arbres et les villages, autrement dit l'Homme et la Forêt. Dans la haute montagne marocaine, les liens qui unissent les Berbères au Genévrier thurifère sont multiples et témoignent de l'importance sociale et économique de cette essence dont dépend la survie de ces populations de montagne. Mais le rôle majeur du Genévrier thurifère dans le quotidien des villageois est aussi ce qui risque de causer sa perte, et par voie de conséquence, celle des villages de la haute montagne marocaine. Emberger en 1938 mettait déjà en garde: "La montagne marocaine, si l'on y prend garde, court vers sa ruine définitive. La destruction de la végétation engendre la ruine économique, et celle-ci provoque la dépopulation."

Vallée de l'Azzaden
Vallée de l'Azzaden (Haut Atlas, Maroc)
(Photo N. Montès)

 

Dans la haute montagne marocaine, la faible diversité floristique et l'isolement géographique ont conduit les berbères à gérer au mieux les ressources disponibles dans le milieu. Dans le domaine de la santé par exemple, ces petits villages ("Douars") n'ont pas de médecin, ce dernier passant de villages en villages avec une périodicité variable. Les principes actifs du Genévrier thurifère en font donc un arbre particulièrement important, que ce soit pour un usage vétérinaire ou médical. Localement, la distillation sèche du bois fournit un goudron aux propriétés cicatrisantes et antiseptiques employées en médecine vétérinaire (Fromard & Gauquelin, 1993).

 


(Photo J. M. Savoie)

 

Mais le Genévrier thurifère a bien d'autre utilisations qui en font un élément clé de la survie des populations de haute montagne. Dans une vallée aux hivers rigoureux, il constitue la principale ressource en bois pour le chauffage et la cuisine, tant pour le foyer au village, que pour le berger dans la montagne (Emberger, 1938; Boudy, 1958; Auclair, 1991; Gauquelin et al., 1999).

En bois d'œuvre, il est actuellement peu employé en raison des interdictions, et du fait que c'est un bois difficile à travailler, et ce d'autant plus que les villageois sont peu outillés. De plus, il est rarement utilisé pour confectionner des ustensiles de cuisine tels que bols, plats ou assiettes, car son bois se fend en séchant et souvent se tord. Il est donc principalement utilisé pour réaliser des charpentes, des linteaux et quelques portes.

Actuellement, les branches entremêlées du Genévrier thurifère disposées sur les murs des Azib (bergeries), sont utilisées pour protéger le troupeau des renards et des chiens errants.

Comme le bois, le feuillage du Genévrier thurifère tient une place capitale dans l'économie montagnarde. Utilisé comme fourrage, il est consommé frais et sur place, les chèvres n'hésitant pas à monter dans ou sur la couronne de l'arbre, lorsque ce dernier n'est pas émondé par le berger (Donadieu et al., 1976; Hammoudi, 1977; Auclair, 1991; Bellakhdar, 1997; Bourbouze, 1997; Gauquelin et al., 1999). Mais le feuillage est également consommé sec, lorsqu'en hiver, les conditions climatiques confinent les troupeaux dans la bergerie, le thurifère étant alors un aliment d'appoint indispensable. Enfin, si l'odeur pénétrante de cet arbre lui confère, en Espagne, un rôle protecteur symbolique à l'égard des cultures, les habitants de la vallée lui attribuent ici un rôle purificateur des sols. Symbole de force et de sagesse, certains Thurifères sont considérés comme de véritables "marabouts", appelé d'ailleurs "Agouram Androman" (marabout-thurifère), abritant les esprits protecteurs et éloignant les maladies (Auclair, 1993).